Appels à communication : Journée d’étude sur le radioreportage dans les années 1930

Vendredi 7 juin 2019 à l’université Paul-Valéry Montpellier 3.

Journée organisée par Pierre-Marie Héron.

Propositions à adresser avant le 1er mai 2019 (pierremarieheron@gmail.com).

 

Des radioreportages diffusés en France dans les années 1930, il ne reste quasiment aucune trace sonore : on y perd évidemment beaucoup, puisque, comme le remarquait un de ses grands représentants de l’époque, Carlos Larronde, « avec le radioreporter apparut un type absolument nouveau dans notre profession » : « le journaliste qui n’écrit pas », le « parleur pur » dont la double qualité est une « double rapidité, celle de la vision et celle de l’élocution ». Il reste heureusement, autour de cette « profession » émergente, de ses activités et de ses productions, de multiples traces dans la presse écrite : notes d’écoute, réflexions sur la technique ou l’art du radioreportage, débats ; portraits, interviews, points de vue et souvenirs de figures du métier ; enquêtes sur les coulisses du métier ou d’un reportage ; parfois, des versions écrites d’un reportage parlé. Et bien sûr des programmes (plus ou moins partiels, concis et fautifs).

Combien sont-ils, dans la décennie, ces reporters (multi-tâches souvent) qui donnent à la TSF son élément le plus vivant en relevant le considérable défi de changer d’outil de travail (puisque la majorité viennent de la presse écrite) : une centaine peut-être ? S’y ajoutent les collaborateurs occasionnels, experts et célébrités (du sportif à l’écrivain, la star de cinéma, de la chanson…), à l’occasion d’événements divers. Cependant une poignée de noms émerge du lot : premier d’entre eux, le jovial et entraînant improvisateur Edmond Dehorter, dit le « Parleur inconnu », véritable vedette des débuts du radioreportage sportif, à Radio-Paris (1924-1926) puis Paris-PTT, présent aussi sur les ondes de Radio-Luxembourg à sa création en 1934, de Radio 37 à sa création trois ans plus tard, signe de son inusable célébrité malgré quelques déboires ; deuxième, son rival l’incisif, inventif et combatif Jean Antoine (fils du fondateur du Théâtre libre), amateur des reportages en tandem, grand créateur, à L’Intransigeant dont il dirige la page radio de 1929 à 1937, d’un service de production de radioreportages vendus à différents postes de l’époque, et remarquable directeur, de 1935 à 1938, de Radio-Cité et de son journal parlé, La Voix de Paris, dont il fait un véritable « quotidien sonore » ; Alex Virot, précis et réfléchi, qui fait ses débuts avec Jean Antoine sur les Tours de France cyclistes de 1929 et 1930 et s’illustre par ses reportages à bord du paquebot Normandie et à New York puis en Ethiopie en 1935, à Vienne au moment de l’Anschluss en 1938 ; le délicat poète post-symboliste Carlos Larronde (biographié par Christopher Todd en 2007), auteur radiophonique marquant de la décennie, radioreporter à partir de 1931 dans l’équipe de L’Intransigeant ‒ il la dirige à partir de 1937 ‒, chef du service des radioreportages de la Radiodiffusion nationale en 1938 ; Jean Masson, responsable de la rédaction parisienne de Radio-Luxembourg de 1936 à la guerre, adepte des reportages « truqués » (montés comme des sketches) inspirés de la technique américaine du « march of time », inventeur du reportage « à trois faces » (presse écrite, radio, cinéma). Citons encore Georges Géville, le grand homme du radio-tourisme, Alex Surchamp, le spécialiste des « tranches de vie », l’élégant Michel Ferry, grand reporter en Espagne au moment de la guerre civile ou encore Paul Gilson à Radio-Luxembourg, Jean Guignebert à Radio Cité, Georges Briquet au Poste Parisien, futurs grands noms de la radio d’après-guerre.

La majorité de ces journalistes de terrain tiennent des chroniques dans des pages radio de grands quotidiens et des hebdomadaires de programmes. Elles constituent un corpus de première main pour voir comment se structure un milieu et des réseaux et comment s’invente la conscience du métier et de ses possibilités par ceux qui le pratiquent, en dialogue avec les autres critiques radiophoniques. Parmi eux, citons Pierre Descaves (dans Les Nouvelles littéraires de 1929 à 1938, TSF Programme entre 1930 et 1934 surtout, Ce Soir en 1937-1938), Fernand Divoire (dans TSF Programme à partir de 1930), Paul Dermée (dans La Parole libre TSF de 1925 à 1932, Monde de 1928 à 1932, Le Haut-Parleur entre 1931 et 1938, TSF Programme entre 1932 et 1937, Comœdia de 1932 à 1937) ‒ textes édités par Victor Martin-Schmets dans les volumes IV à VI des Œuvres complètes de Céline Arnauld et Paul Dermée chez Garnier (2017).

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Périmètre d’étude

  1. les émissions des stations de radio émettant à Paris dans les années trente :

postes d’État : Radio Tour Eiffel (1921-1940), Paris PTT (1923-1940), Poste Colonial (1931-1938) / Paris Mondial (1938-1940) et Radio Paris (poste privé de 1924 à 1932, nationalisé en 1933) ;

postes privés : Poste du Petit Parisien (1924-1932)/ Poste parisien (1932-1940), Radio LL (1923-1935) / Radio Cité (1935-1940), Radio Vitus (1926-1934) / Poste de l’Ile-de-France (1934-1940), Radio Luxembourg (1933-1939), Radio 37 (1937-1939).

  1. les pages radio de la presse nationale et les magazines de programmes des années trente.

Pistes d’étude

  1. les radioreporters : portraits, parcours, réalisations, conceptions de leur métier ; notamment, parmi les noms cités plus haut, Edmond Dehorter, Jean Antoine, Jean Masson, peu ou pas étudiés. Quelle place parmi eux pour des écrivains ?
  2. le radioreportage dans les rubriques radiophoniques des quotidiens nationaux et des principaux magazines de programmes(non numérisés sauf exception) : Radio-Magazine (1923-1945 ; avec quelques Almanachs annuels), La Parole libre TSF (1925-1934 ‒ fusionne avec Mon Programme), Le Haut-Parleur (1925-1998 ; surtout technique), TSF Programme (1930-1936), Le Petit Radio (1931-1939), Mon Programme (1932-1939 et un Almanach 1936; associé en 1936 au Haut-Parleur), Les Cahiers de Radio-Paris (1930-1939, consultable sur Gallica), La Semaine radiophonique (1935 à la guerre) et Ici… Radio Cité (publication de Radio Cité). On apprécierait notamment une communication sur la page radio de L’Intransigeant, lancée le 7 janvier 1929, très lue tout au long des années 1930 et « de loin la plus ambitieuse des rubriques de la radio de la presse quotidienne » [Todd 2007, 109].

  3. le radioreportage dans les Journaux parlés. Initialement organisés (plus ou moins…) comme des gazettes [v. Brochand, 424-438], avec principalement une revue de presse et des causeries assurées par des journalistes de presse écrite qui « réserv[ent] leurs nouvelles fraîches à leur journal imprimé » [Méadel, 263], ceux-ci, d’une part ne donnent pas de place centrale à l’actualité avant le Front populaire ou plus tard, d’autre part ne s’ouvrent que lentement au radioreportage, et les postes publics (qui en limitent l’usage aux actualités sportives) bien après les postes privés [Méadel, 264]. Radio-Toulouse est pionnier dans ce domaine, en mettant en place dès 1932 un service d’actualités sonores. Dans notre corpus, les cas les plus intéressants sont : les Radios-Actualités de Radio-Luxembourg en 1934, réalisées par les reporters de L’Intransigeant en collaboration avec Le Journal; la Voix de Paris, premier « quotidien sonore », lancé à Radio Cité le 29 septembre 1935, avec la collaboration de L’Intransigeant jusqu’au 1er février 1937 ; le journal parlé de Paris-Soir à Radio 37, dont les « Images sonores » sont assurées par Carlos Larronde ; l’Édition spéciale de Maurice Diamant-Berger au Poste Parisien en 1937, « pot-pourri d’interviews, de reportages, de faits divers » enchaînés sur un rythme enlevé [Descaves, cité par Todd 2000, 1, 271].

  4. les collaborations entre la presse écrite de grande diffusion et des postes privés ou publics, notamment : Le Petit Parisien et son satellite le Poste parisien (1924-1940) ; Paris-Soir et son satellite Radio 37 (1937-1940) ; Radio France et Le Journal L’Intransigeant et plusieurs postes de radio tout au long de la décennie (Paris-PTT, Poste parisien, Radio Toulouse, Radio-Luxembourg, Radio Cité…), pour lesquels il produit à partir de 1931 des reportages prêts à diffuser. Une idée reprise par Michel Ferry, qui lance début 1938, avec Alex Surchamp et d’autres radioreporters, Radio-Actualités françaises, agence spécialisée dans la production de courts radioreportages pour une dizaine de postes privés à Paris et en région.

  5. l’art du radioreportage : étapes techniques (la liaison téléphonique reste le moyen le plus sûr face à la liaison par ondes courtes, instable, et du coup le « fil à la patte » des reportages en direct jusqu’à la veille de la guerre, mais l’enregistrement sur disque est introduit en 1931, l’usage du micro baladeur aussi, etc.)… Pratiques et poétiques du genre : les réflexions et débats ne manquent pas sur ce que peut ou doit être un bon reportage radiophonique, selon les domaines (préparation et improvisation, direct et différé, utilisation des micros, des sons d’ambiance, des interviews, de l’enregistrement, « dramaturgie » sonore, à une voix ou à plusieurs, qualités d’élocution, de langage, de voix, convenances de style selon les genres de reportage, etc.). On reste encore très crispé, très lié à la forme écrite et au bon langage, avec une volonté de s’en émanciper (le radioreportage invente quand même un nouveau style de langue parlée) et, sur les questions de montage et de traitement des faits (dans les reportages en différé notamment), des influences du cinéma (reportages de Masson et Virot pour le Tour de France, bulletins sonores de Radio-Actualités françaises…), du théâtre (« Quarts d’heure du dessert » sur Radio Luxembourg en 1938…) ou de la poésie (reportages publicitaires produits par les Studios Foniric…).

  6. les domaines du petit et du grand reportage : sportif (cyclisme et football surtout, mais aussi tennis, meetings d’aviation…), touristique (régions de France, Europe, Afrique, États-Unis…), politique (crises ministérielles, crises internationales…), artistique au sens large (prix littéraires, revues de music-hall, séances de cirque…), mondain (bals, fêtes, défilés…)… Alex Surchamp commence à mettre son micro dans les rues de Paris en 1931, Georges Géville à se « balader » d’un coin à l’autre de la France en 1933 (il a laissé des souvenirs écrits en 1939 et parlés en 1961, 12 émissions conservées par l’Ina), tandis que la même année La minute de L’Intran diffuse tous les jours sur le Poste parisien et Radio Côte d’Azur (puis sur Radio Cité en 1936, dans une formule revue) « les instants les plus caractéristiques de la vie nationale ». En 1937, Radio 37 choque dans sa couverture de certains faits divers, dont l’affaire Weidmann ; Fred Poulain fait parler L’homme de la rue sur Radio Cité ; Jean Guignebert fait le tour De tous les horizons du monde en mêlant des montages sonores aux souvenirs de grands reporters. Si le sport joue un rôle de « locomotive » dans le développement du reportage, voire dans « les formats et les rythmes » des journaux parlés [Méadel, 275], ceux-ci en retour contribuent à la diversification des thèmes en s’ouvrant au besoin de mettre toujours plus de vie dans leurs informations.

  7. les reportages parallèles (un événement couvert par plusieurs stations et journaux) : Tour de France 1929, course des Six-Jours 1933, premier voyage du Paquebot Normandie en 1935, Exposition universelle de 1937, Coupe du monde de football 1938, Anschluss de l’Autriche en 1938 aussi… Terrains en partie explorés déjà dans les articles de Marc Martin.

  8. les emplois dérivés de la forme « radioreportage » : dans la presse écrite, le roman, le théâtre, le théâtre radiophonique, les émissions publicitaires ou patronnées…

 

Éléments bibliographiques

Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°79 : « Sport et radio », janvier-mars 2004. Dossier sur « l’épopée du radioreportage sportif » établi par Guy Bernède (« Au fil du siècle », « Les hommes », « Les compétitions », « Quelques souvenirs de champions »).

Brochand, Christian, Histoire générale de la radio et de la télévision en France, Paris, La Documentation française, 1994, tome 1 (1921-1944).

Duval, René, Histoire de la radio en France, Paris, Alain Moreau, 1980.

Ford, Charles, « Influence du micro sur la dramaturgie du réel », dans Jean Tardieu et alii, Grandeurs et faiblesses de la radio, Paris, Unesco, 1969, p. 97-118.

Héron, Pierre-Marie, « Convergences publicitaires : Salacrou, Deharme, Desnos » dans Portraits de l’écrivain en publicitaire, Myriam Boucharenc, Laurence Guellec (dir.), Rennes, PUR (« La Licorne »), 2018, p. 189-220. Pages sur les radioreportages publicitaires des Studios Foniric.

Martin, Marc, Les Grands Reporters. Les débuts du journalisme moderne, Paris, Audibert, 2005.

—, « 1929 : la presse et le premier reportage radiophonique du Tour de France », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°80, avril-juin 2004, p. 168-177

—, « Paquebot Normandie, Addis-Abeba : les premiers reportages radiophoniques au long cours », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°84, avril-juin 2005, p. 103-111.

—, « L’année où la radio s’impose dans le grand reportage de crise », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°89, juillet-septembre 2006, p. 59-68.

—, « La radio et le grand reportage », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°122, oct-déc. 2014, p. 91-101.

Méadel Cécile, Histoire de la radio des années trente : du sans-filiste à l’auditeur, Paris, Anthropos ‒ Ina, 1994 [pages sur le radio-reportage publiées dans la revue Politix, vol. 5, n°19, 1992, p. 87-101, article disponible sur Persée]

Sudre, René, Le huitième art, mission de la radio, Paris, Julliard, 1945 (chapitre sur le radioreportage).

Todd, Christopher, Pierre Descaves, témoin et pionnier de la radio, Lewiston / Queenstown / Lampeter, The Edwin Mellen Press, 2000, 2 vol.

—, Carlos Larronde (1888-1940) poète des ondes, Paris, L’Harmattan, 2007.

—, « Carlos Larronde, idéaliste des ondes », dans Les Écrivains et la radio, Pierre-Marie Héron (dir.), Montpellier, Ina / Publications de Montpellier 3, 2003, p. 15-40.

—, « Une version numérisée de “T.S.F. Tribune” : celle d’Ouest-Éclair (1932-1939) », Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°104, avril-juin 2010, p. 5-58 [présentation d’une page radio commune à de nombreux quotidiens de province, à laquelle collaborent des journalistes parisiens]

Tudesq, André-Jean, « La naissance de la presse de la radiodiffusion entre les deux guerres mondiales », Revue française d’histoire du livre, vol. 54, n°47, 1985, p. 333-351.

Vigarello, Georges, « Le Tour de France », dans Les Lieux de mémoire, Pierre Nora (dir.), t. 3, 1992, p. 884-925.

Vincent, Joris, « Edmond Dehorter : la première voix du rugby français », dans L’ovale dans la lucarne. Le rugby à la radio et à la télévision, Hubert Cahuzac et Guy Lochard (dir.), Paris, De Boeck Supérieur, 2007, p. 83-88.

 

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