Feuilleton du Journal îles Débats
LE COMTE DE MONTE - CHRISTO ( 1 ) . ( Voir les Numéros des 28 , 29 , 31 août , l«r et 4 septembre . ) lie ClutteMii d' lf . En traversant i' antichambre , le commissaire de police lit un signe à deux gendarmes , lesquels se placèrent l' un à droite , l' autre à gauche de Dantès ; on ouvrit une porte qui communiquait de l' appartement du procureur du roi au Palais - de - Justice ; on suivit quelque temps un des grands corridors qui font frissonner ceux-là qui y passent , quand même ils n' ont aucun motif de frissonner . De même que l' appartement de Villefort communiquait au Palais - de- Justice , le Palais - de - Justice communiquait à la prison , sombre monument accolé au Palais , et que regarde curieusement de toutes ses ouvertures béantes le clocher des .Aecoules qui se dresse devant lui . Après nombre de détours dans le corridor qu' il suivait , Dantès vit s' ouvrir une porte avec un guichet de fer ; le commissaire de police frappa avec un marteau de fer trois coups , qui retentirent pour Dantès comme s' ils étaient frappés sur son cœur ; la porte s' ouvrit , les deux gendarmes poussèrent légèrement leur prisonnier qui hésitait ; Dantès franchit le seuil redoutable , et la porte se referma bruyamment derrière lui . Il respirait un autre air , un air méphitique et lourd , il était en prison . ... - , • , On le conduisit dans une chambre assez propre , mais grillée et verrouillée . Il en résulta que l' aspect de sa demeure ne lui donna point trop de craintes . D' ailleurs les paroles du substitut du procureur du roi , prononcées avec une voix qui avait paru à Dantès si pleine d' intérêt , résonnaient à son oreille comme une douce promesse d' espérance . Il était déjà quatre heures lorsque Dantès avait été -conduit dans sa chambre . On était , comme nous l' avons ■ dit , au ler mars ; les jours déclinaient vite : le prisonnier se trouva donc bientôt dans la nuit . Alors le sens de l' ouïe s' augmenta chez lui du sens de la vue , qui venait de s' éteindre . Au moindre bruit qui pénétrait jusqu' à lui , convaincu qu' on venait le mettre eiî liberté , A se levait vivement et faisait un pas vers la porte . Mais bientôt le bruit s' en allait , mourant dans une autre direction , et Dantès retombait sur son escabeau . Enfin , vers les dix heures du soir , au moment où Dantès commençait à perdre l' espoir , un nouveau bruit se fit entendre qui lui parut cette fois se diriger vers sa chambre . En oeflet , des pas retentirent dans le corridor et s' arrêtèrent devant sa porte . Une clef tourna dans la serrure , les
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verroux grincèrent , et la massive barrière de chêne s' ouvrit , laissant pénétrer tout à coup dans la chambre sombre l' éblouissante lumière de deux torches . A la lueur de ces torches , Dantès vit briller les sabres et les mousquetons de quatre gendarmes . Il avait fait deux pas en avant ; il demeura immobile à sa place en voyant ce surcroît de force . Venez - vous me chercher ? demanda Dantès . Oui , répondit un des gendarmes . De la part de M. le substitut du procureur du roi ? Mais je le pense . Bien , dit Dantès , je suis prêt à vous suivre . - j ha conviction qu' on venait le chercher de la part de M. de Villefprt était toute crainte au malheureux jeune homme . Il s' avança donc , calme d' esprit , libre de démarche , et se plaça de lui-même au milieu de son escorte . Une voiture attendait à la porte de la rue , le cocher était sur le siège , un exempt était assis près du cocher . Est -ce donc pour moi que cette voiture est là ? demanda Dantès . C' est pour vous , répondit un des gendarmes ; montez . Dantès voulut faire quelques observations ; mais la portière s' ouvrit ; il sentit qu' on le poussait . Il _ n' avait ni la possibilité ni même l' intention de faire résistance . Il se trouva en yn instant assis au fond de la voiture entre deux gendarmes ; les deux autres s' assirent sur la banquette de devant , et la pesante machine se mit en route avec un roulement sinistre . Le prisonnier jeta les yeux sur les ouvertures ; elles étaient grillées ; il n' avait fait que changer de prison ; seulement celle-là roulait , et le transportait en roulant vers un but ignoré , à travers les barreaux serrés à pouvoir à peine y passer la maip . Dantès reconnut cependant qu' on longeait la rue Caisserie , et que par la rue Saint-Laurent et la rue Tamaris on descendait vers le quai . Bientôt il vit à travers ses barreaux à lui , et les barreaux du monument près duquel il se trouvait , briller les lumières de la Consigne . La voiture s' arrêta ; l' exempt descendit , s' approcha iju corps - de - garde ; une douzaine de soldats en sortirent et se rangèrent en haie . Dantès voyait à la lueur des réverbères du quai reluire leurs fusils . Serait - ce pour moi , se demanda - t - il , que l' on déploie une pareille force militaire ? . L' exempt , en ouvrant la portière qui fermait à clef , quoique sans prononcer une seule parole , répondit à cette question , par Dantès vit entre les deux haies de soldats un chemin ménagé pour lui .de la voiture au port . Les deux gendarmes qui étaient assis sur la banquette de devant descendirent les premiers , puis on le fit dèseendre à son tour , puis ceux qui se tenaient à ses côtés le suivirent . On marcha vers un canot qu' un marinier de la douane maintenait près du quai par une chaîne . Les soldats regardèrent passer Dantès d' un air de curiosité hébétée . En un instant J 1 fut installé à la poupe du bateau , toujours entre ses quatre gendarmes , tandis que l' exempt se tenait à la proue . Une violente secousse éloigna le bateau du bord , quatre rameurs nagèrent vigoureusement vers le Pilon . A un cri poussé de la barque , la chaîne qui ferme le port s' abaissa , et Dantès se trouva dans ce qu' on appelle le Frioul , c' est-
à-dire hors du port . Le premier mouvement du prisonnier , en se retrouvant en plein air , avait été un mouvement de joie . L' air , c' est presque la liberté . Il respira donc à pleine poitrine cette brise vivace qui apporte sur ses ailes toutes ees senteurs inconnues de la nuit et de la mer . Bientôt cependant il poussa un soupir , il passait devant cette Réserve où il avait été si heureux le matin même pendant l' heure qui avait précédé son arrestation , et à travers l' ouverture ardente de deux fenêtres , le bruit joyeux d' un bal arrivait jusqu' à lui . Dantès joignit les mains , leva les yeux au ciel et pria . La barque continuait son chemin , elle avait dépassé la tête de More , elle était en face de l' anse du Pharo . Elle allait doubler la batterie , c' était une manœuvre incompréhensible pour Dantès . Mais où donc me menez - vous ? demanda - t - il . Vous le saurez tout à l' heure , Mais , encore ... Il nous est interdit de vous donner aucune explication . Dantès était à moitié soldat ; questionner des subordonnés auxquels il était défendu de répondre lui parut une chose absurde , et iî se tut . Alors les pensées les plus étranges passèrent par son esprit ; comme on ne pouvait faire une longue route dans une pareille barque , comme il n' y avait aucun bâtiment à l' ancre du côté où l' on se rendait , il pensa qu' on allait le déposer sur un point éloigné da la côte et lui dire qu' il était libre : il n' était point attaché , on n' avait fait aucune tentative pour lui mettre les menottes , cela lui paraissait d' un bon augure ; d' ailleurs le substitut , si excellent pour lui , ne lui avait il pas dit que , pourvu qu' il ne prononçât point ce nom fatal de Noirtier , il n' avait rien à craindre ? Villefort n' avaitil pas en sa présence anéanti cette dangereuse lettre , seule preuve qu' il y eût contre lui ? Il attendit donc , muet et pensif , et essayant de percer avec cet œil du marin exercé aux ténèbres , et accoutumé à l' espace , l' obscurité de la nuit . On avait laissé à droite l' île Ratonneau , où brûlait un phare , et tout en longeant presque la côte , on était arrivé à la hauteur de l' anse des Catalans . Là , les regards du prisonnier redoublèrent d' énergie ; c' était là qu' était Mercédès , et il lui semblait à chaque instant voir se dessiner sur le rivage sombre la forme vague et indécise d' une fehame . Comment uû pressentiment ne disait - il donc pas à Mercédès qùe son amant passait à trois cents pas d' elle ! Une seule lumière brillait aux Catalans . En interrogeant la position de cette lumière , Dantès reconnut qu' elle éclairait la chambre de sa fiancée . Mercédès était la seule qui veillât dans toute la petite colonie . En poussant un grand cri , le jeune homme pouvait être entendu dé sa fiancée . Une faussé honte lé retint . Que diraient ces hommes qui le gardaient , en l' entendant cpiep comme un Insensé ? Il resta donc muet et les yeux fixés sur cette lumière . Pendant ce temps , la barque continuait son chemin ; mais le prisonnier ne pensait point à la barque , il pensgit à Mercédès . Un accident de terrain fit disparaître la lumière . Dantès se retourna et s' aperçut que la barque gagnait le iarge . Pendant qu il regardait , absorbé dans sa propre pensée , on avait substitué les voiles aux rames , et la barque s' avançait maintenant poussée par le yent . Malgré la répugnance
qu' éprouvait Dantès à adresser au gendarme de nouvelles questions , il se rapprocha de lui , et lui prenant la main • Camarade , lui dit - il , au nom de votre conscience et de par votre qualité de soldat , je vous adjure d' avoir pitié de moi et de me répondre . Je suis le capitaine Dantèg bon et loyal Français ; quoique accusé de je ne sais cruel le trahison , ou me menez - vous ? dites - le , et , foi de mdria in me rangerai a mon devoir et me résignerai à mon sort ' Le gendarme se gratta l' oreille , regarda son camarade . Celuici fit un mouvement qui voulait dire à peu près : Il me semble qu' au point où nous en sommes il n' y a pas d' inconvenient , et le gendarme se retourna vers Dantès • Vous êtes Marseillais et marin , dit - il , et vous deimm dez ou nous allons ? Oui , car , sur mon honneur iê 1 ignore . Ne vous en doutez - vous pas ? Aucunement - Ce n est pas possible ! - Je vous le jure sur ce qSe j' ai de plus sacre au monde . Répondez - moi donc , de erW _ Mais la consigne ? La consigne ne vous défend nas de m apprendre ce que je saurai dans dix minutes . dans une demi-heure , dans une heure peut-être ; seulement vous m épargnez d ici là des siècles d' incertitude . Je vous le de mande comme si vous étiez mon ami . Regardez , je ne veux ni me révolter ni fuir , d' ailleurs je ne le puis . Où allonsnous ? A moins que vous n' ayez un handeau sur les yeux , ou que vous ne soyez jamais sorti du port de Marseille , vous devez cependant deviner où vous allez ? Non . Regardez autour de vous , alors . Dantès se leva , jeta naturellement les yeux vers le noîn ? ou paraissait se diriger le bateau , et à cent toises devant lui il vit s élever la roche noire et ardue sur laquelle comme une superfetafion du silex le sombre chàteaudT Cette forma étrange , cette prison autour de laquelle rè<*né une si profonde terreur , cette forteresse qui fait vivre ÙP puis trois cents ans Marseille de ses lugubres traditions /"/ apparaissant ainsi tout à coup à Dantès qui ne songeait fa /"/ « « « WKïï lons - mius I ' faire ' , làY ( ' uFgeßdarine Muri!Tl?MaiB pa , s J , a P ? u f y ôtr . e emprisonné ? continua Dantès Le chateau dlf est une prison d' Etat , destinée seulement aux grands coupables politiques . Je n' ai commis aucun crime . Est -ce qu il y a des juges d' instruction , des magistrats quelconques au château d' lf ? —Il n' y a , je le suppose , dit le gendarme , qu' un gouverneur , des geôliers une garnison et de bons murs . Allons , allons , l' ami , ne ' faites pas si fort 1 étonné ; car , en vérité , vous me feriez croire que vous reconnaissez ma complaisance en vous moquant de moi . Dantès serra la main du gendarme à la lui briser Vous prétendez donc , dit - il , que l' on me conduit a » château d' lf pour m' y emprisonner ? C' est probables dit le gendarme ; mais , en tout cas , camarade , il est inutile de me serrer si fort . Sans autre information , sans , autre formalité ? demanda le jeune homme . Les formalités sont rejnpUes , l' information est faite . Ainsi , malaré lo promesse de M. Villefbrt ... - Je ne sais si M. vffieforL