feuilleton du .lonrnal des Débats
LE COMTE DE MONTE - CRISTO ( 1 ) . { Voir les NV S des 28 , 29 , 31 août , l ® r , 4et S septembre . ) f , e Soir des Fiançailles . Villefort , comme nous l' avons dit , avait repris le chemin de la place du Grand - Cours , et en rentrant dans la maison de Mme de Saint - Méran , il trouva les convives , qu' il avait laissés à table , passés au salon et prenant le café . Renée l' attendait avec une impatience qui était partagée par tout le reste de la société . Aussi fut - il accueilli par une exclamation générale . Eh bien ! trancheur de têtes , soutien de l' Etat , Brutus royaliste , s' écria l' un , qu' y a -t -il , voyons ? —Sommesnous menacés d' un nouveau régime de la Terreur ? demanda l' autre . L' ogre de Corse serait - il sorti de sa caverne ? demanda un troisième . Madame la marquise , dit Villefort , Rapprochant de sa future belle-mère , je viens vous prier de m' excuser si je suis forcé de vous quitter ainsi ... Monsieur le marquis , pourrais - je avoir l' honneur de voiri dire deux mots en particulier ? Ah ! mais c' est donc réellement grave ? demanda la marquise en remarquant le nuage qui obscurcissait le front de Villefort . Si grave , que je suis forcé de prendre congé de vous pour quelques jours Ainsi , continua - l - il en se tournant vers Renée , voyez s' il faut que la chose soit sérieuse ! Vous partez , Monsieur ? s' écria Renée , incapable de cacher l' émotion que lui causait cette nouvelle inattendue . Hélas ! oui , Mademoiselle ! répondit Villefort- ; il le faut . Et où ailez - vous donc ? demanda la marquise . C' est le secret de fa justice , Madame . Cependant si quelqu'un d' ici a des commissions pour Paris , j' ai un de mes amis qui partira ce soir et qui s' en chargera avec plaisir . Tout le monde se regarda . Yous m' avez demandé un
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moment d' entretien ? dit le marquis . Oui , passons dans votre cabinet , s' il vous plaît . Le marquis prit le bras de Villefort et sortit avec lui . Eh bien ! demanda celui-ci , en arrivant dans son cabinet , que se passe -t -il donc ? parlez ! Des choses que je crois de la plus haute gravité , et qui nécessitent mon départ à l' instant même pour Paris . Maintenant , marquis , excusez l' indiscrète brutalité de la question ; avez - vous des renies sur l' Etat ? Toute ma fortune est en inscriptions , six à sept cent mille francs à peu près . —Eh bien ! vendez , marquis ; vendez ou vous êtes ruiné ! Mais comment voulez - vous que je vende d' ici ? Vous avez un agent de change , n' est -ce pas ? —Oui ! Donnez - moi une lettre pour lui , et qu' il vende sans perdre une minute ! sans perdre une seconde ! peut-être même arriverai - je trop tard ! Diable ! dit le marquis , ne perdons pas de temps alors . Et il se mit à table et écrivit une lettre à son agent de change , dans laquelle il lui ordonnait de vendre à tout prix . Maintenant que j' ai cette lettre , dit yillefort , en la serrant soigneusement dans son portefeuille , il m' en faut une autre . Pour qui ? Pour le Roi . Pour le Roi ? Oui . Mais je n' ose prendre sur moi d' écrire ainsi à Sa Majesté .— Aussi n' est -ce point à vous que je la demande , mais vous que je charge de la demander à M. de Servieux . Il faut qu' il me donne une lettré à l' aide dé laquellé je puisse pénétrer près de S , M. sans être soumis à toutes les formalités de demande d' audience qui peuvent me faire perdre un temps précieux . Mais n' avèz - vous pas le garde des sceaux qui a ses grandes entrées aux Tuileries , et par l' intermédiaire duquel vous pouvez jour et nuit parvenir jusqu' au Roi . Oui , sans doute ; mais |1 est inutile que je partage avec un autre le mérite de la nouvelle que je' porté , comprenez - vous ? Le garde des sceaux me reléguerait tout naturellement au second rang et m' enlèverait le bénéfice de moq yoyage . Je ne vous dis qu' une chose , marquis , ma carrière est , si j' arrive le premier aux Toileries , car j' aurai rendu aii Roi un service qu' il ne liû sera pas permis d' oublier . —En ce cas , mon cher , ' allez faire vos paquets , nioi j' appelle Servieux , et je lui fais écrire la lettre qui doit vous servir de iaissez - passcr , Bien , ne perdez pas de temps , car dans un quart-d'heure il faut que je sois en chaise de poste , Faites arrêter vôtre voiture devant la porte . Sans aucun doute , vous m' excuserez auprès de la marquise , n' est -ce pas , auprès de M ll ® de Saint - Méran
que je quitte dans un pareil jour avec un bien profond regret ? Vous les trouverez toutes deux dans mon cabinet , et vous pourrez leur faire vos adieux . Merci cent fois occupez - vous de ma lettre .
Le marquis sonna , un laquais parut . Dites au comte de Servieux que je l' attends , dit le marquis . Allez maintenant , continua - t - il , s' adressant à Vijlefort , vous êtes libre . Bon , je ne fais qu' aller et venir . Et Villefort sortit tout courant ; .mais à la porte il songea qu' un substitut du procureur du roi qui serait vu marchant a pas précipités risquerait de troubler le repos de toute une ville ; il reprit donc son allure ordinaire , qui était toute magistrale . A sa porte il aperçut dans l' ombre Comme un blanc fantôme qui l' attendait debout et immobile . C' était la belle fille catalane qui , n' ayant pas de nouvelles d' Edmond , s était échappée à la nuit tombante du Pharo , pour venir savoir elle-même la cause de l' arrestation de son amant . A l' approche de Villefort , elle se détacha de la muraille contre laquelle elle était appuyée , et vint lui barrer le chemin . Dantès avait parlé au substitut de sa fiancée , et Mercédès n' eut point besoin de se nommer pour que Villefort la reconnût . Il fut surpris de la beauté et de la dignité de cetfo femme , et lorsqu' elle lui demanda ce qu' était devenu son ! amant , il lui sembla que c' était lui l' accusé , et que c' était elle le juge . ' - L' homme dont vous parlez , dit brusquement Villefort , est un grand coupable , et je ne puis rien pour lui , Mademoiselle . Merpédès laissa échapper un sanglot , et co.mme Villefort essayait de passer outre , elle l' arrêta une seconde fois . Mais où est-il , du moins , demanda - t - elle , que je puissp m' ipfprmer s' il est mort qu vivant ? Je ne sais ; il ne m appartient plus , répondit Villefort . Et gêné par ce regard fixe et cette suppliante attitude , il repoussa Mercédès et rentra , refermant vivement la porte , comme pour laisser dehors cette douleur qu' on lui apportait . Mais la douleur ne se laisse pas repousser ainsi : comme le trait mortel dont parle Virgile , l' homme blessé 1 emporte qvec lui . Villefort rentra , referma la porte ; mais arrivé dans son salôn , lés jambes lui manquèrent à son tour , il poussa un soupir qui ressemblait à un sanglot et se laissa tomber dans un fauteuil . Alors au fond de ce ' cœur malade naquit le premier germe d' un ulcère mortel ; cet homme qu' il sacrifiait à son ambition , cet innocent qui payait pour son père cou-
| pable , lui apparut pale et menaçant , donnant la main à sa fiancée , pèle comme lui et traînant à sa suite le ïe mords , non pas celui qui fait bondir le malade Zl t furieux de la fatalité antique ; mais ce tintement so.md et douloureux qui a de certains momens , frappe sur L cœur et le meurtrit au souvenir d' une action passée . Meurtrissure dont les lancinantes douleurs creusent un mal nnl va s approfondissant toujours jusqu' à la mort . Alors il v p„f dans 1 ame de cet homme encore un instant d' hésitation n plusieurs fois il avait requis , et cela sans autre celle de la lutte du juge avec l' accusé , la peine deS contre les prévenus , et le souvenir de ces Drévm .. o î ™ 1 tés grâce à son éloquence foudroyante qui a ou les juges ou le jury , n' avaientpas ~ sur son front , car ces prévenus étaient coumhw ? moins yillefort les croyait tels . Maiscettefoffitail hiîn autre chose ; cette peine de la prison perpétuelle H venati L de 1 appliquer à un innocent , à un innoeent qui allait W heureux , çt dont il détruisait non seulement la bhortl mais le bonheur . Cette fois il n' était plïT / J ? il bourreau ! Et en songeant |à cela , il sentait c « bstfo ™ 1 sourd que nous avons décrit , et qui lui ™ qu alors , retentissant au fond de son cœur et remrn /"/ Jus /"/ sa poitrine de vagues appréhensions ; c' est une violente souffrance instinctive , est averti le hiT - paijamais n' approchera sans trembler le doigt do si hf 0 qui ouverte et saignante avant que sa blessure ne soit refirS * Mais la blessure qu avait reçue Villefort étaii n qui ne se ferment pas , ou qui rie so fermpnt T „ wlles rouvrir plus sanglantes et plus douloureuse m. pour se Si dans ce moment la douce voix de Renée eût son oreille pour lui demander < râce si la holnî u f , a fût entrée et lui pût dit : « Au nom du' weu S f garde et qui nous jnge , rendez - moi mon fiancé » on f front à moitié plie sous la nécessité , s' y fût courbé tonî ï fait , et de ses mams glacées eût sans doute an tout ce qui pouvait en résulter pour lui l' nta ' î 6 mettre en liberté Rantès . Mais aucune voK m» ™ / 6 dans le silence , et la porte ne s' ouvrit que nour d ™ ! ™ entrée au valet de chambre de Yillefort l d ? n /"/ er que les chevaux de poste étaient à la calwi » ! e Villefort se leva ou plutôt hcmdit comm « h vo > a?e - triomphe d' une lutte intérieure courut % « f . quÊ versa dans ses poches tout l' or qui se trouîaU dans' un del