tiroirs , tourna un instant effaré dans la chambre , la main sur son front et articulant des paroles sans suite ; puis enfin , sentant que son valet de chambre venait de lui poser son manteau sur les épaules , il sortit , s' élança en voiture et ordonna d' une voix brève de toucher rue du Grand- Cours , chez M. de Saint - Méran . * Le malheureux Dantès était condamné ! Comme l' avait promis M. de Saint - Méran , Villefort trouva la marquise et Renée dans le cabinet . En apercevant Renée , le jeune homme tressaillit , car il crut qu' elle allait lui demander de nouveau la liberté de Dantès . Mais , hélas ! il faut le dire , la belle jeune fille n' était préoccupée que d' une chose , du départ de Villefort . Elle aimait Villefort ; Villefort allait partir au moment de devenir son mari ; Villefort ne pouvait dire quand il reviendrait , et Renée , au lieu de plaindre Dantès , maudit l' homme qui par son crime la séparait de son amant . 1 Que devait donc dire Mercédès ! La pauvre Mercedes avait retrouvé au coin de la rue de la Loge Fernand oui l' avait suivie ; elle était rentrée aux Catalans , et , mourante , désespérée , elle s' était jetée sur son lit . Devant ee lit Fernand s' était mis à genoux , et , pres- S iïit la main glacée que Mercédès ne songeait pas à retirer , îi la couvrait de baisers brûlans que Mercédès ne sentait même pas . Elle passa la nuit ainsi ; la lampe s' éteignit quand il n' y eut plus d' huiie ; elle ne vit pas plus l' obscurité qu' elle n' avait vu la lumière , et le jour revint sans qu' elle vît le jour . La douleur avait mis devant ses yeux un bandeau qui ne lui laissait voir qu' Edmond . —Ab 1 vous êtes là ! dit - elle enfin en se retournant du cêté do Fernand . -r Depuis hier je ne vous ai pas quittée , répondit Fernand avec un soupir douloureux . Quant à M. Mprrel , il ne s' était pas tenu pour battu . 11 avait appris qu' à la suite de son interrogatoire , Dantès avait été conduit à la prisoß ; i ! avait alors Couru chez tous ses amis . Il s' était présenté chez les personnes de Marseille qui pouvaient avoir de l' influence ; mais déjà le bruit s' était répandu qué.le jeune homme avait été arrêté sons la prévention d' être un agent bonapartiste ; et comme , à cette éo -.que , les plus hasardeux regardaient comme un rave insensé toute tentative de .-Napoléon pour remonter sur le trône , il n' avait trouvé partout que froideur , craint » et relus , cl il était rentré chez Un désespéré , mais avouant
cependant que la position était grave et que personne n' y pouvait rien . De son côté , Caderousse était fort inquiet et fort tourmenté . Au lieu de sortir comme l' avait fait M. Morrel , au lieu d' essayer quelque chose en faveur de Dantès pour lequel d' ailleurs ii ne pouvait rien , il s' était enfermé avec deux bouteilles de vin de cassis , et avait essayé de noyer son inquiétude dans l' ivresse . Mais dans l' état d' esprit où il se trouvait , c' était trop peu de deux bouteilles pour éteindre son jugement . Il était donc demeuré trop ivre pour aller chercher d' autre vin , pas assez ivre pour que l' ivresse eût éteint ses souvenirs , accoudé en face de ces deux bouteilles vides sur une table boiteuse , et voyant danser au reflet de sa chandelle à la longue mèche tous ces spectres qu' Hoffmann a semé sur ses manuscrits humides de punch , comme une poussière noire et fantastique . Danglars seul n' était ni tourmenté ni inquiet ; Danglars même était joyeux , car il s' était vengé d' un ennenaj et avait assuré à bord du Pharaon sa place qu' il craignait de perdre . Danglars était un de ces hommes de calcul qui naissent avec une plume derrière l' oreille et un encrier à la place du cœur ; tout était pour lui dans ce monde soustraction ou multiplication , et un chiffre lui paraissait bien plus précieux qu' un homme quand ce chiffre pouvait augmenter le total que cet homme pouvait diminuer . Danglars s' était donc couché à SQn heure ordinaire et dormait tranquillement . Villefort , après avoir reçu de M. de Servieux une lettre adressée àM. le comte de Rlacas , embrassé Renée sur les deux joues- , baisé la main de M me de Saint - Méran , et serré celle du marquis , courait la poste sur la route d' Aix . Le père Dantès se mourait de douleur et d' inquiétude . Quant à Edmond , nous savons ce qu' il était devenu . jLe ( letit eaMact « le » Tiaiïes*ies . Abandonnons Villefort sur la route de Paris , où , grâce aux triples guides qu' il paie , il brûle ie chemin , et pénétrons à travers les deux ou trois salons quile précèdent dans le petit cabinet des Tuileiies , à la fenêtre cintrée , si bien i connu pour avoir été ie cabinet favori de Napoléon et de ! Louis tViil , et pour être aujourd'hui celui du Roi Louis ! Philippe . Lu , dans ce cabinet , assis devant uae table de ( noyer qu' il avait rapportée d' llariweii , et que , par une
de ces manies familières aux grands personnages , il affectionnait tout particulièrement , le roi Louis XVIII écoutait assez légèrement un homme de cinquante à cinquantedeux ans , aux cheveux gris , à la figure noble et sévère , tout en notant à la marge un volume d' Horace , édition de Gryphius , assez incorrecte quoique estimée , et qui prêtait beaucoup aux sagaces observations philosophiques de S. M. Vous dites - donc , Monsieur ? dit le roi . Que je suis on ne peut plus inquiet , Sire . Vraiment ! auriez - vous vu en songe sept vaches grasses et sept vaches maigres ? Non , Sire , car cela ne nous annoncerait que sept années de fertilité et sept années de disette , et , avec un roi aussi prévoyant que l' est Votre Majesté , la disette n' est pas à craindre . De quel autre fléau est-il donc question mon cher Blacas ? —Sire , je crois ... j' ai tout lieu de croire , qu' un orage se forme du côté du Midi ... Eh bien ! mon cher comte , répondit Louis XVIII , je vous crois mal renseigné , et je sais positivement , au contraire , qu' il fait très beau tomps de ce côté là . Tout homme d' esprit qu' il était , Louis XVIII aimait la plaisanterie facile . Sire , dit M. de Blacas , ne fût - ce que pour rassurer un fidèle serviteur , Votre Majesté ne pourrait - elle pas envoyer dans le Languedoc , dans la Provence et dans le Dauphiné des hommes sûrs qui lui feraient un rapport sur l' esprit de ces trois provinces ? Canimus surdis , répondit le roi , tout en continuant d' annoter son Horace . Sire , répondit le courtisan en riant pour avoir l' air de comprendre l' hémistiche du poète de Venuse , Votre Majesté peut avoir parfaitement raison en comptant sur le bon esprit de la France , mais je crains de ne pas avoir tout-à-fait tort en craignant quelque tentative désespérée . De la part de qui ? De la part do Buonaparte , oq d ll moins de son parti . Mon cher Blacas , dit le roi , vous m' empêchez de travailler avec . vo§ terreurs . Sire , je voudrais pouvoir partager la sécurité de Votre Majesté . Attendez , mon cher comte , attendez . Je tiens une nefle très heureuse sur le Pastor qui un traheret ; attendez et vous continuerez après . Il se fit un instant de silence , pendant lequel Louis XVIII inscrivit d' une écriture , qu' il faisait aussi menue que possible , -una neuve- noie ou marge de son II > raèe ; pais , cette note inscrite : Continuez , mon cher duc , dit - il en
se relevant , de l' air satisfait d' un homme qui croit avoir eu une idée lorsqu' il a commenté l' idée d' un autre : continuez je vous écoute . Sire , dit M. de Blacas , je suis forcé do vous dire que ce ne sont point de simples bruits dénués de fondement , de simples nouvelles en l' air qui m' inquiètentc' est un homme bien pensant , méritant toute ma confiance ' et chargé par moi de surveiller le Midi ( le comte hésita en prononçant ces mots ) , qui arrive en poste pour me dire • Un grand péril menace le roi ; alors jo suis accouru Sire /"/ Mala ducis avi domum , continua Louis XVIII en annotant son Horace . - Votre Majesté m' ordonne - t - elle de ne plus insister sur ce sujet ? - Non , mon cher comte . Mais allongez la main , là-bas , à gauche ; vous devez trouver te rapport du ministre de la police en date d' hier Mais tenez , le voici lui-même ... N' est -ce pas , vous dites ' le mi ' nistre de la police ? interrompit Louis XVIII s' adressant à 1 huissier ! Entrez , baron , et racontez au comte ce que vont savez de plus récent sur M. de Buonaparte , Ne nous di«î muiez rien de la situation , quelque grave qu' elle soit Voyons l' lle d' Elbe est-elle u H n volcan fet n voir sortir la guerre toute flamboyante et tout hérissé bella , horrida bella ? J 1 louc ll6nsste » Votre Majesté , dit le ministre , a -t -elle bien voulu consulter le rapport d' hier ? - Oui , oui ; mais dites au comte im - mêtne , qui no peut le trouver , ce que contenait ce rapport . Détaillez - lui ce que fait l' usurpateur dans son île Monsieur , dit le baron au comte , tous les bons servi * teurs de Sa Majesté doivent s' applaudir des nouvelles ré centes qui nous parviennent de l' ile d' Elbe . Buonaparte Le ministre regarda Louis XVIII , qui , occupé d' écrire~«n « note , ne leva pas môme la tète . Buonaparte , continua le baron , s ennuie mortellement ; il passe des journées entiô ras à regarder travailler ses mineurs de II vâ plus : nous sommes à peu près sûrs que dans peu de temnt 1 usurpateur sera fou . Fou ? Fou à lier . Sa tête s' affaiblit Tantôt jl pleure à chaudes larmes , tantôt il rit à gorge d£ ployee ; d autres fois il passe des heures sur 1 0 rivale à ieter des cailloux dans l' eau , et lorsque le caillou a fait cinq ou six ricochets , il parait aussi satisfait que s' il avait munie en autre Marengo ou un nouvel Àusterlitz . Voilà vous en conviendrez , des signes de folie . - Ou de sagesse , Mor.- « eur k baron , on de sagesse dit Louis XVIII en riant . Cotait en jetant des cailloux a la mer que se récréaient les