Eh bien ! demanda - t - il , il paraît qu' il vous a donné de bonnes raisons de son mouillage à Porto - Ferrajo ? D' excellentes , mon cher monsieur Danglars . Ah ! tant mieux , répondit celui-ci , car c' est toujours pénible de voir un camarade qui ne fait pas son devoir . Dantès a fait le sien , répondit l' armateur , et il n' y a rien à dire . C' était le capitaine Leclerc qui lui avait ordonné celte relâche . A propos du capitaine Leclerc , ne vous a -t -il pas remis une lettre de lui ? A moi ? non . En avait - il donc une ? je croyais qu' outre le paquet , le capitaine Leclerc lui avait confié cette lettre ? De quel paquet voulez - vous parler , Danglars ? Mais de celui que Dantès a déposé en passant à Porto- Ferrap>.^me n t savez _ vous qu' il avait un paquet à déposer à Porto - Ferrajo ? Danglars rougit . . I Je passais devant la porte du capitaine , qui était en- Ir' ouverte , et je lui ai vu remettre ce paquet et cette lettre à Dantès . . , Il ne m' en à point parlé , dit l' armateur , mais sil a cette lettre , il me la remettra . Danglars réfléchit un instant . \iors , monsieur Morrel , je vous prie , dit - il , ne parlez point de cela à Dantès ; je me serai trompé . En ce moment le jeune homme revenait ; Danglars sé- k ien , mon c jj er D an tès , êtes - vous libre ? demanda l' armateur . Oui , Monsieur . La chose n' a pas été longue . jç on j' ai donné aux douaniers la liste de nos marchandises ; et , quant àla consigne , elle avait envoyé avec le pilote côtier un homme à qui j' ai remis nos papiers . Alors , vous n' avez plus rien à faire ici ? Dantès jeta un regard rapide autour de lui . . Non , tout est en ordre , dit - il . Vous pouvez donc alors venir dîner avec nous ? Excusez-moi , monsieur Morrel , excusez-moi , je vous nrie mais je dois ma première visite à mon père . Je n' en suis pas moins bien reconnaissant de l' honneur que vous 113 if c' est juste , Dantès , c' est juste , je sais que vous êtes b ° — ' Et , demanda Dantès avec une certaine hésitation et il se porte bien , que vous sachiez , mon père ? Mais je crois que oui , mon cher Edmond , quoique je ne l' aie pas aperçu . Oui il se tient enfermé dans sa petite chambre . Cela ' prouve au moins qu' il n' a manqué de rien en votre absence . Dantès sourit . Mon père est fier , Monsieur , et , eût - il manqué de tout , je doute qu' il eût demandé quelque chose à oui que ce soit au monde , excepté à Dieu . Eh bien ! après celle première visite , nous comptons SU encore , monsieur Morrel ; mais après
cette première visite , j' en ai une seconde qui ne me tient pas moins au cœur . Ah ! c' est vrai , Dantès ; j' oubliais qu' il y a aux Catalans quelqu'un qui doit vous attendre avec non moins d' impatience que votre père : c' est la belle Mercédès . Dantès rougit . Ah ! ah ! dit l' armateur , cela ne m' étonne plus qu' elle soit venue trois fois me demander des nouvelles du Pharaon . Peste ! Edmond , vous n' êtes point à plaindre , et vous avez là une jolie maîtresse . Ce n' est point ma maîtresse , Monsieur , dit gravement le jeune marin ; c' est ma fiancée . C' est quelquefois tout un , dit l' armateur en riant . Pas pour nous , Monsieur , répondit Dantès . Allons , allons ! mon cher Edmond , continua l' armateur , que je ne vous retienne pas . Vous avez assez bien fait mes affaires pour que je vous donne tout loisir de faire les vôtres . Avez - vous besoin d' argent ? Non , Monsieur ; j' ai tous mes appointemens du voyage , c'est-à-dire près de trois mois de solde . Vous êtes un garçon rangé , Edmond ! | Ajoutez que j' ai un père pauvre , monsieur Morrel . I Oui , oui , je sais que vous êtes bon fils ! Allez donc voir votre père . J' ai un fils aussi , et j' en voudrais fort à celui qui , après un voyage de trois mois , le retiendrait loin de moi . Alors vous permettez ? dit le jeune homme en saluant . Oui , si vous n' avez rien de plus àme dire . Non . —Le capitaine Leclerc ne vous a pas , en mourant , donné une lettre pour moi ? Il lui eût été impossible d' écrire , Monsieur ; mais cela me rappelle que j' aurai un congé de quelques jours à vous demander . Pour vous marier ? D' abord puis pour aller à Paris . Bon ! bon ! vous prendrez le temps que vous voudrez , Dantès . Le temps de décharger le bâtiment nous prendra bien six semaines , et nous ne nous remettrons guère en mer avant trois mois . Seulement , dans trois mois , il faudra que vous soyez là . Le Pharaon , continua l' armateur en frappant sur l' épaule du jeune marin , ne pourrait pas repartir sans son capitaine . Sans son capitaine ! s' écria Dantès les yeux brillans de joie . Faites bien attention à ce que vous me dites là , Monsieur ; car vous venez de répondre aux plus secrètes espérances de mon cœur . Votre intention serait - elle de me nommer capitaine du Pharaon ? Si j' étais seul , je vous tendrais la main , mon cher Dantès , et je vous dirais : C' est fait . Mais j' ai un associé , et vous savez le proverbe italien : Che a compagno a padrone . Mais la moitié de la besogne est faite , au moins , puisque sur deux voix vous en avez déjà une ; rapportez - vous - en à moi de vous avoir l' autre , et je ferai de mon mieux . Oh ! monsieur Morrel , s' écria le jeune marin , saisissant , les larmes aux yeux , les mains de l' armateur ; monsieur Morrel , je vous remercie au nom de mon père et de Mercédès . C' est bien ! c' est bien , Edmond ! 11 y a un Dieu au ciel
pour les braves sens , que diable ! Allez voir votre père , allez voir Mercédès , et revenez nie voir après . Vous ne voulez pas que je vous ramène à terre ? Non , merci , je reste à régler mes comptes avec Danglars . Avez - vous été content de lui pendant le voyage ? C' est selon le sens que vous attachez à cette question , Monsieur ; si c' est comme bon camarade , non , car je crois qu' il ne m' aime pas , depuis le jour où j' ai eu la bêtise , à la suite d' une petite querelle que nous as ions eue ensemble , de lui proposer de nous arrêter dix minutes à l' lle de Monte - Christo pour vider cette querelle , proposition que j' avais eu le tort de lui faire , et qu' il avait eu , lui , la raison de refuser . Si c' est comme comptable que vous me faites cette question , je crois qu' il n' y a rien à dire , et que vous serez content de la façon dont sa besogne est faite . Mais , demanda l' armateur , voyons , Dantès , si vous étiez capitaine du Pharaon , garderiez - vous Danglars avec plaisir ? Capitaine ou second , monsieur Morrel , répondit d' Antès , j' aurai toujours les plus grands égards pour ceux qui posséderont la confiance de mes armateurs . Allons , allons , Dantès , je vois qu' en tout point vous êtres un brave garçon . Que je ne vous retienne plus ; allez , car je vois que vous êtes sur des charbons . Au revoir , monsieur Morrel , et mille fois merci . Au revoir , mon cher Edmond ; bonne chance ! Le jeune marin sauta dans le canot , alla s' asseoir à la poupe , et donna l' ordre d' aborder àla Cannebière . Deux matelots se penchèrent aussitôt sur leurs rames , et l' embarcation glissa aussi rapidement qu' il est possible de le faire au milieu de mille barques qui obstruent l' espèce de rue étroite qui conduit , entre deux rangées de navires , de l' entrée du port au quai d' Orléans . L' armateur le suivit des yeux en souriant jusqu' au bord , le vit sauter sur les dalles du quai et se perdre aussitôt au milieu de la foule bariolée qui , de cinq heures du matin à neuf heures du soir , encombre celte fameuse rue de la Cannebière dont les Phocéens modernes sont si fiers , qu' ils disent avec le plus grand sérieux du monde et avec cet accent qui donne tant de caractère à ce qu' ils disent : « Si Pa.is avait la Cannebière , Paris serait un petit Marseille . » En se retournant , l' armateur vit derrière lui Danglars qui , en apparence , semblait attendre ses ordres , mais qui en réalité suivait comme lui le jeune marin du regard . Seulement il y avait une grande différence dans l' expression de ce double regard qui suivait le même homme .
lie Père et le Pile .
Laissons Danglars , aux prises avec le génie de la haine , essayer de souffler contre son camarade quelque maligne supposition à l' oreille de l' armateur , et suivons Dantès qui , après avoir parcouru la Caunebière dans toute sa longueur , prend la rue de Nouailles , entre dans une petite maison située du côté gauche des allées de Mcillan , monte vivement les quatre étages d' un escalier obscur , et , se retenant à la rampe d' une main , comprimant de l' autre les battemens de son cœur , s' arrête devant une porte entrebâillée qui laissa voir jusqu' au fond d' une petite chambre .
Cette chambre était celle qu' habitait le père de Dantès . La nouvelle de l' arrivée du Pharaon n' était pas encore parvenue au vieillard , qui s' occupait , monté sur une chaise , à palissader , d' une main tremblante , quelques capucines mêlées de clématites , qui montaient en grimpant le long du treillage de sa fenêtre . 3 Tout à coup il se sentit prendre à bras - le - corps , et une voix bien connue s' écria derrière lui : Mon père , mon bon père ! Le vieillard jeta un cri et se retourna ; puis , voyant son fils , il se laissa aller dans ses bras , tout tremblant et tout pâle . Qu' avez - vous donc , père ? s' écria le jeune homme inquiet ; seriez - vous malade ? Non , non , mon cher Edmond , mon fils , mon enfant , non ; mais je ne t' attendais pas , et la joie , le saisissement de te revoir ainsi , à l' improviste ... Ah , mon Dieu ! il me semble que je vais mourir ... Eh bien ! remettez-vous donc , père . C' est moi , c' est bien moi . On dit toujours que la joie ne fait pas de mal , et voilà pourquoi je suis entré ici sans préparations . Voyons souriez - moi , au lieu de me regarder , comme vous le faites ! avec des yeux effarés . Je reviens , et nous allons être heureux . Ah ! tant mieux , garçon , reprit le vieillard . Mais comment allons - nous être heureux ? Tu ne me quittes donc plus ? Voyons , conte - moi ton bonheur . Que le Seigneur me pardonne , dit le jeune homme de me réjouir d' un bonheur fait avec le deuil d' une famille ; mais Dieu sait que je n' eusse pas désiré ce bonheur ! Il ' arrive , et je n' ai pas la force de m' en affliger . Le brave capitaine Leclerc est mort , et il est probable que , par la protection de M. Morrel , je vais avoir sa place ... , capitaine à vingt ans ! avec cent louis d' appointemens et une part dans les bénéfices ! N' est -ce pas plus que ne pouvait vraiment l' espérer un pauvre matelot comme moi ? Oui , mon fils , oui , en effet , dit le vieillard , c' est bien heureux . Aussi je veux que du premier argent que je toucherai vous ayez une petite maison avec un jardin pour planter vos clématites , vos capucines et vos chèvrefeuilles . Mais qu' avez - vous donc , père ? on dirait que vous vous trouvez mal . ' ; > Patience , patience , ce ne sera rien . Et les forces manquant au vieillard , il se renversa en arrière . Voyons , voyons , dit le jeune homme , un verre de vin , mon père , cela vous ranimera . Où mettez - vous votre vin ? Non , merci , ne cherche pas , je n' ai pas besoin , dit le vieillard , essayant de retenir son fils . Si fait , si fait , père ; indiquez - moi l' endroit . Et il ouvrit deux ou trois armoires . Inutile , dit le vieillard ... il n' y a plus de vin . Comment ! il n' y a plus de vin ! dit en pâlissant à son tour d' Anlès , regardant alternativement les joues creuses et blêmes du vieillard et les armoires vides . Comment ! il n' y a plus de vin ! Auriez - vous manqué d' argent , mon père ?