Feuilleton ( lu Journal de » Débats
LE COMTE DE MONTE - CIIRISTO ( 1 ) . ( Voir les Numéros des 28 , 29 et 31 . ) E < e Repas îles Fiançailles . ... . -s .. .»<<. /"/ F Y . -rj- . . • < 4 ; ; ' ■ * : ( Suite . ) ; < M. Morrel comprit qu' il n' y avait rien à faire contre l' inflexibilité de la situation ; un commissaire ceint de son écharpe n' est plus un homme , c' est la statue de la loi , froide , sourde , muette . Le vieillard , au contraire , se précipita vers l' officier ; il y a des choses que le cœur d' un père ou d' une mère ne comprendront jamais . Il pria et supplia , larmes et prières ne pouvaient rien ; cependant son désespoir était si grand , que le commissaire en fut touché . Monsieur , dit - il , tranquillisez - vôus ; peut-être votre fils a -t -il négligé quelque formalité de douane ou de santé , et ; selon toute probabilité , lorsqu' on aura reçu de lui lesrenseignemens qu' on désire en tirer , sera - t - il remis en liberté . Ah çà , qu' est -ce que cela signifie ? demanda , en fronçant le sourcil , Caderousse à Danglars qui jouait la surprise . Le sais - je ? moi , dit Danglars ; je suis comme toi , je vois ce qui se passe , je n' y comprends rien et je reste confondu . Caderousse chercha des yeux Fernand ; il avait disparu . Toute la scène delà veille se représenta alors à Caderousse avec une effrayante lucidité . On eût ditque la catastrophe venait de tirer le voile que l' ivresse de la veille avait je té entre lui et sa mémoire .— Oh ! oh ! dit - il d' une voix rauque , serait - ce la /"/ suite de la plaisanterie dont vous parliez hier , Danglars ? En ce cas , malheur à celui qui l' aurait faite , car . elle est bitm triste ! Pas du tout , s' écria Danglars ; tu sais bien au contraire que j' ài déchiré le papier . Tu ne l' as pas déchiré , dit Carderousse , tu l' as froissé et jeté dans un coin , voilà tout . Tais - toi , tu n' as rien vu , tu étais ivre . —Où est Fernand ? demanda Caderousse . Le sais - je , moi ? répondit Danglars ; à ses affaires probablement Mais , au lieu de nous occuper de cela , allons donc porter du secours à ces pauvres affligés . En effet , pendant cette conversation , Dantès avait en souriant serré là main à ses amis , embrassé Mercedès au front et s' était constitué prisonnier , en disant : « Soyez trauquilles '
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l' erreur va s' expliquer , et probablement je n' irai ' môme pas jusqu' à la prison . » Oh ! bien certainement , j' en répondrais , dit Danglars , qui en ce moment s' approchait , comme nous l' avons dit , du groupe principal . Dantès descendit l' escalier , précédé du commissaire de police et entouré par les soldats . Une voiture , dont la portière était tout ouverte , attendait à la porte ; il y monta ; deux soldats et le commissaire montèrent après lui . La portière se referma , et la voiture reprit le chemin de Marseille . Adieli , Dantès ! adieu , Edmond ! s' écria Mercédès en s' élançant sur la balustrade . Le prisonnier entendit ce dernier cri sorti comme un sanglot du cœur déchiré de sa fiancée ; il passa la tête par la portière , cria : Au revoir , Mercédes ! et disparut à l' un des angles du fort Saint-Nicolas . • /"/ . ' * -Attendez - moi ici , dit l' armateur ; je prends la première voiture que je rencontre , je cours à Marseille , et je vous rapporte des nouvelles . Allez , crièrent toutes les voix ; allez , et revenez bien vite ! Il y eut après ce double départ un moment de stupeur terrible parmi tous ceux qui étaient restés . Le vieillard et Mercédès demeurèrent quelque temps isolés chacun dans sa propre douleur . Mais enfin leurs yeux se rencontrèrent ; ils se reconnurent comme deux victimes frappées du même coup . , et se jetèrent dans les bras l' un de l' autre . Pendant ce temps Fernand rentra , se versa un verre d' eau qu' il but , et alla s' asseoir sur une chaise . Le hasard fit que ce fût sur une chaise voisine que vint tomber Mercédès en sortant des bras du vieillard . Fernand , par un mouvement instinctif;,recula son siège . ' ; ' -r : C' est lui , dit à Danglars Caderousse , qui n' avait pas perdu de vue le Catalan . Je ne crois pas , répondit Danglars , il était trop bête . En tout cas , que le coup retombe sur celui qui l' a fait ! Tu ne parles pas de celui qui l' a conseillé , dit Caderousse . —Ah ! ma foi , dit Danglars , si I l' on était responsable de tout ce que l' on dit en l' air ... Oui , lorsque ce que l' on dit en l' air retombe par la pointe ! j Pendant ce temps , les groupes commentaient l' arrestation de toutes les manières . —Et vous , Danglars , dit une voix , que pensez - vous de cet événement ? Moi , dit Danglars , je crois qu' il aura rapporté quelques ballots de marchandises prohibées . Mais si c' était*cela , vous devriez le savoir , Danglars , vous qui étiez agent comptable ? Oui , c' est vrai ; mais l' agent comptable ne connaît que les colis qu' on lui déclare . Je sais que nous sommes chargés do coton , voilà tout ; que nous avons pris le chargement à Alexandrie chez M. Pastret , et à Smyrne chez M. Pascal ; ne m' en demandez pas davantage . Oh ! je me rappelle maintenant , murmura le pauvre père se rattachant àce débris , qu' il m' a dit hier qu' il avait pour moi une caisse de café et une caisse de tabac.— Voyez-vous ! dit Danglars , c' est cela ; en notre absence la douane aura fait une visite à bord du Pharaon , et elle aura découvert le pot aux roses .
Mercédès ne croyait point à tout cela ; car , comprimée jusqu' à ce moment , sa douleur éclata tout à coup en sanglots . Allons , allons , espoir ! dit sans trop savoir ce qu' il disait Dantès père . Espoir ! répéta Danglars . Espoir ! essaya de murmurer Fernand ; mais ce mot l' étouffait , ses lèvres s' agitèrent , aucun son ne sortit des lèvres . NA Messieurs ! cria un des convives restés en vedette sur la balustrade , Messieurs , une voiture ... Ah ! c' est M. Morrel ! Courage ! courage ! sans doute qu' il nous apporte de bonnes nouvelles . Mercédès et le vieux père coururent au-devant de l' armateur , qu' ifs rencontrèrent à la porte : M. Morrel était fort pâle . —Eh bien ! ... s' écrièrent - ils d' une même voix . Eh bien , mes amis , répondit l' armateur en secouant la têle , la chose est plus grave que nous ne le pensions .... Oh ! Monsieur , s' écria Mercédès ; il est innocent . Je le crois , répondit M. Morrel ; mais on l' accuse . De quoi donc ? demanda le vieux Dantès . D' être un agent bonapartiste . Ceux de mes lecteurs qui ont vécu dans l' époque où se passe cette histoire , se rappelleront quelle terrible accusation c' était , à cette époque - là , que celle que venait de formuler M. Morrel . Mercédès poussa un cri ; le vieillard se laissa tomber sur une chaise . Ah ! murmura Caderousse , vous m' avez trompé , Danglars , et la plaisanterie a été faite . Mais je ne veux pas laisser mourir de douleur ce vieillard et cette jeune fille , et je vais tout leur dire . Tais - toi , malheureux ! s' écria Danglars en saisissant la main de Caderousse , ou je ne réponds pas de toi-même . Qui te dit que Dantès n' est pas véritablement coupable ? Le bâtiment a touché à l' ile d' Elbe ; il y est descendu ; il est resté tout un jour à Porto - Ferrajo . Si l' on trouvait sur lui quelque lettre qui le compromît , ceux qui l' auraient soutenu passeraient pour ses complices . Caderousse , avec l' instinct rapide de l' égoïsme , comprit toute la solidité de ce raisonnement . Il regarda Danglars avec des yeux hébétés par la crainte et par la douleur , et , pour un pas qu' il avait fait en avant , il en fit deux en arrière . Attendons alors , murmura - t - il . Oui , attendons , dit Danglars ; s' il est innocent , on le mettra en liberté ; s' il est coupable , il est inutile de se compromettre pour un conspirateur .— Alors , partons ; je ne puis rester plus longtemps ici . Oui , viens , dit Danglars , enchanté de trouver un compagnon de relraite ; viens , et laissonsles se tirer de là comme ils pourront , Us partirent . Fernand , redevenu l' appui delà jeune fille , prit Mercédès par la main et la ramena aux Catalans . Les amis de Dantès reconduisirent , de leur côté , aux allées de Meillan le vieillard presque évanoui . Bientôt cette rumeur que Dantès venait d' être arrêté comme agent bonapartiste se répandit par toute la ville . Eussiez - vous cru cela , mon cher Danglars ? dit M. Morrel en rejoignant son agent comptable et Caderousse ; car
il regagnait lui-même la villè en toute hâte pour avoir quelques nsuvelles directes d' Edmond par le substitut du procureur du Roi , M. de Villefort , qu' il connaissait un peu ; auriez - vous cru cela ? Dame , Monsieur ! répondit Danglars , je vous avais dit que Dantès , sans aucun motif , avait relâché à l' île d' Elbe , et cette relâche , vous le savez , m' avait paru suspecte . Mais aviez - vous fait part de vos soupçons à d' autres qu' à moi ? Je m' en serais gardé , Monsieur , ajouta tout bas Danglars ; vous savez bien qu' à cause de votre oncle . M. Policar Morrel , qui a servi sous l' autre , et qui ne cache pas sa pensée , on vous soupçonne de regretter Napoléon , et j' aurais eu peur de faire tort à Edmond et ensuite à vous . Il y a de ces choses qu' il est du devoir d' un subordonné de dire à son armateur et de cacher sévèrement aux autres . Bien ! Danglars , bien ! dit l' armateur , vous êtes un brave garçon ; aussi j' avais pensé à vous dans le cas où ce pauvre Dantès fût devenu capitaine du Pharaon . Comment cela , Monsieur ? Oui , j' avais d' avance demandé à Dantès ce qu' il pensait de vous , et s' il aurait quelque répugnance à vous garder à votre poste ; car je ne sais pourquoi j' avais cru remarquer qu' il y avait du froid entre vous et lui . Et que vous avait - il répondu ? —Qu' il croyait effectivement avoir eu , dans une circonstance qu' il ne m' a pas dite , quelques torts envers vous , mais que toute personne qui avait la confiance de l' armateur avait la sienne . L' hypocrite ! murmura Danglars . Pauvre petit , dit Caderousse ; c' est un fait qu' il était excellent garçon . Oui , mais en attendant , dit M. Morel , voilà le Pharaon sans capitaine . Oh ! dit Danglars , il faut espérer , puisque nous ne pouvons repartir que dans trois mois , que d' ici à cette époque Dantès sera mis en liberté . Sans doute ; mais jusque-là ? Eh bien ! jusque-là , me voici , monsieur Morrel , dit Danglars . Vous savez que je connais le maniement d' un navire aussi bien que le premier capitaine au long cours ' venu . Cela vous offrira même un avantage de vous servir de moi ; cela fait que lorsque Edmond sortira de prison , vous n' aurez personne à remercier ; il reprendra sa place et moi la mienne , voilà.tout . Merci , Danglars , dit l' armateur , voilà en effet qui concilie tout . Prenez donc le commandement , je vous y autorise , et surveillez le débarquement ; il ne faut jamais , quelque catastrophe qui arrive aux individus , que les affaires souffrent . —Soyez tranquille , Monsieur ... Mais pourra - t - on le voir au moins , ce bon Edmond ? Je vous dirai cela tout à l' heure , Danglars . Je vais tâcher de parler à M. de Villefort , et d' intercéder près de lui en faveur du prisonnier . Je sais bien que c' est un royaliste enragé ; mais que diable , tout royaliste et procureur du Roi qu' il est , il est homme aussi , et je ne le crois pas méchant . — ■ Non , dit Danglars , mais j' ai entendu dire qu' il était ambitieux , et' cela se ressemble beaucoup . Enfin , dit M. Morrel avec un soupir , nous verrons ; allez à bord , je vous y rejoins . Et il quitta lès deux amis pour prendre le chemin du Palais - de - Justice .