JFeailieton du Jeesnal des Débats .
LES MYSTÈRES DE PARIS ( 1 ) . ( Yôt / tZ J ® 3 Numéros des 19 , 21 , 22 et 23 juin . ) CHAPITRE V. li' Ar restait en » L' homme était sorti un moment , après avoir recommandé à l' Ogresse son broc et son assiette , revint bientôt , accompagné d' un i?utre personnage à larges épaules , à figure énergique . Il lui dit î • _ ' Voilà un hasard de se rencontrer comme ça , Borel 1 Entre donc , nous boirons un verre de vin . Le Chourineur dit tout bas à Rodolphe et à la Goualeuse , en leur montrant le nouveau venu : Il va y avoir de la grêle ... c' est un raille ( 1 ) . Attention ! Les deux bandits , dont l' un coiffé d' un bonnet grec enfoncé jusque sur ses sourciis , avait demandé plusieurs fois le Maître - d' Ecole , échangèrent un coup d' œil rapide , se levèrent simultanément de table et se dirigèrent vers la perte ; mais les deux agens se jetèrent sur éux en poussant un cri particulier . Une lutte terrible s' engagea . La porte de la taverne s' ouvrit ; d' autres agens se précipitèrent dans la salle , et l' on vit briller au dehors les fusils des gendarmes . Profitant du tumulte , lo charbonnier dont nous avons parlé s' avança jusqu' au seuil du tapis-franc , et , rencontrant Î > ar hasard /"/ le regard de Rodolphe , il porta à ses lèvres ' index de sa main droite . Rodolphe , d' un geste aussi rapide qu' impérieux , lui ordonna de s' éloigner , puis il continua d' observer ce qui se passait dans la taverne . ( 1 ) La reproduction dés Mystères de Paris est fouuellement Interdite . ( 1 ) Mouchard .
L' homme au bonnet grec poussait des hurlemeas de rage ; à demi étendu sur la table , il faisait des soubresauts si désespérés que trois hommes le contenaient à peine . Anéanti , morne , ta figure livide , les lèvres blanches , la mâchoire inférieure tombante et convulsivement agitée , son compagnon ne fit aucune résistance , il tendit de luimême ses mains aux menottes . L' Ogresse , assise dans son comptoir et habituée à de pareilles scènes , restait impassible ,- les mains dans les poches de son tablier . Qu' est -ce qu' ils ont donc fait ces deux hommes , mon bon M. Borel î demanda - t - elle à un des agens qu' elle connaissait . Ils ont assassiné hier nae vieille femme dans la rue Saint-Christophe , pour dévaliser sa chambre . Avant de mourir , la malheureuse a dit qu' elle avait mordu l' un des meurtriers à la main . On avait l' œil sur ces deux scécérats ; mon camarade est venu tout à l' heure s' assurer de leur identité , et les voilà pinces . Heureusement qu' ils m' ont payé d' avance leur chopine,— dit l' Ogresse . Vous ne voulez rien prendre , monsieur Borel ? un verre de parfait amour ? de consolation ? Merci , mère Ponisse ; il faut que j' enfourne ces brigands - là . Eu voilà un qui regimbe encore ! ... En effet , l' assassin au bonnet grec se débattait avec rage . Lorsqu' il s' agit de le mettre dans un fiacre qui attendait dans la rue , il se défendit tellement qu' il fallut le porter . Son complice , saisi d' un tremblement nerveux , pouvait à peine se soutenir : ses lèvres violettes remuaient comme s' il eût parlé ... On jetâ cette masse inerte dans la voiture . —Ahça 1 mère Ponisse , dit l' agent , défiez - vous de Bras - Rouge ; il est malin , il pourrait voua compromettre . Bras - Rouge ! il y a des semaines qu' on ne l' a vu dans le quartier , monsieur Borel . C' est toujours quand il est quelque part ... qu' on ne l' y voit pas , vous savez bien ça ... Mais n' acceptez do lui en garde ou en consignation aucun paquet , aucun ballot ; ce serait du recel ... Soyez tranquille , monsieur Borel , j' ai aussi peur de
Bras - Rouge que du diable . On ne sait jamais où il va et d' où il vient . La dernière fois que je l' ai vii , il m' a dit qu' il arrivait d' Allemagne . — « Enfin , je vous préviens ... faites - y attention . Avant de quitter le tapis-franc , l' agent regarda attentivement les autres buveurs , et il dit au Cbourineur , d' un ton presque affectueux : Te voilà , mauvais sujet ! Il y a long-temps qu' on n' a entendu parler de toi 1 Tu n' as pas eu de batteries ? Tu deviens donc sage ? - . Sage comme une image , monsieur Borelvous savez que je notasse guère la tête qu' à ceux qui me le demandent . Il ne te manquerait plus que cela , de provoquer ies autres , fort comme tu es ! ; Voilà pourtant mon maître , monsieur Borel , dit le Cbourineur en mettant la main sur l' épaule de Rodolphe . Tims ! je ne le connais pas , celui-là , dit l' agent en examinant Rodolphe . . Et nous ne ferons pas connaissance , mon camarade , répondit celui-ci . Je le désire pour vous , mon garçon , dit l' agent ; puis , s' adressant à l' Ogresse : —Bonsoir , mère Ponisse ; c' est une vraie souricière que votre lapis - frauc , voilà le , troisième assassin que j' y prends . Et j' espère bien que ce ne sera pas le dernier , monsieur Borel ; c' est bien à voire service ... dit gracieusement l' Ogresse en s' inclinant avec déférence . .Après le départ do l' agent de police , le jeune homme à ligure plombée , qui fumait en buvant de 1 eau-de-vie , rechargea sa pipe et dit , d' une voix enrouée , au Cbourineur : Est -ce que tu n' as pas reconnu ic bonnet grec ? C' est l' homme à la Boulotte , c' est Velu . Quand j' ai vu entrer ks agens , j' ai dit : Il y a quelque chose ; avec ça que Vélu cachait toujours sa main gauche sous la table . C' est tout de même heureux pour le Maître d' Ecole qu' il né se soit pas trouvé là , — repiit l' Ogresse . —Le bonnet grec l' a demandé deux fois , pour des affairés qu' ils ont ensemble Mais je ne mangerai jamais mes pratiques . Qu' on les arrête , b0n .... chacun son métier ... mais je no les vends pas ... , Tiens ! quand on parle du loup , on en voit la queue , ajouta l' Ogresse au moment oit - un homme et une femme
- • ■ ■ aSgffxra.- nz y.'.,- . ->v3n ' ■ ssetrrxSZZ u**. entraient dans îe cabaret ; voilà justement le Mailrpd' Ecole et sa targue ( sa femme ) . Une sorte de frémissement de terreur courut parmi les hôtes du tapis-franc . Rodolphe lui-même , malgré son intrépidité naturelle ne put vaincre une légère émotion à la vue de ce redoutable brigand , qu' il contempla pendant quelques instans avec une curiosité mêlée d' horreur . Le Chourinéur avait dit vrai ; le Maître - d' Ecole s' était affreusement mutité . Oh ne pouvait voir quelque chose de plus épouvantable que le visage de ce brigand . Sa figure était sillonnée en tous sens de cicatrices profondes /"/ , livides ; l' action corrosive du vitriol avait boursoufilé ses lèvres ; les eartilages du nez ayant été coupés , deux trous difformes remplaçaient les narines . Ses yeux gris très clairs , très petits , très ronds élincelaient de férocité ; son front aplati comme celui d' un tigre , disparaissait à demi sous une casquette de fourrure à longs poils fauves ... on eût dit la crinière du monstre . Le Maître - d' Ecole n' avait guère plus de cinq pieds deux ou trois pouces ; sa tète , démesurément grosse , était enfoncée entre ses deux épaules largos , élevées , puissantes charnues , qui se dessinaient même sous les plis flottons de sa blouse de toile écrue ; il avait les bras longs , niusculeux les mains courtes , grosses et velues jusqu' à l' extrémité des doigls ; ses jambes étaient un peu arquées , mais leurs mollets énormes annonçaient une force athlétique . Cet homme offrait en hn mot l' exagération do ce qu' il v ■ > de court , de trapu , de ramassé dans le type de l' Hercule Farnèse . Quant à l' expression de férocité qui éclatait sur ce mas que affreux , quant à ce regard inquiet , mobile , ardeiit comme celui d' une bête sauvage , ii faut renoncer à les peindre . La femme qui accompagnait le Maître - d' Ecole était vieille assez proprement vêtue d' un,- : robe brune , d' un tartan à carreaux rouges et noirs , et d' un bonnet bianc . Rodolphe la voyait de profil ; son œil vert et rond son nez crochu , ses lèpres minces,.'son menton saillant sa physionomie à la fois méchante et rusée , lui rappelèrent la Lhauetle . 1