plus , allez 1 Je ne faisais que regarder mon rosier je m' amusais à compter ses feuilles , ses fleurs ... Mais l' air est si mauvais dans la Cité , qu' au bout de deux jours il a commencé à jaunir ... Alors ... mais vous allez vous moquer t*e moi , Monsieur Rodolphe . Non , non , continuez . £ h bien ! alors , j' ai demandé à l' Ogresse la permission desortiret d' aller promenermon rosier ... oui ... commej' aurais promené un enfant . Je l' emportais au quai , je me figurais que d' être avec les autres fleurs , dans ce bon air frais et embaumé , ca lui faisait du bien ; je trempais ses pauvres feuilles flétries dans la belle eau de la fontaine , et puis , pour le.ressuyer , je le mettais un bon quart d' heure au soleil . » Cher petit rosier , il n' en voyait jamais de soleil ' dans la Cité , car dans notre rue il ne descend pas plus bas « ma le toit ... Enfin je rentrais ... Eh bien ! je vous assure , Monsieur Rodolphe , que grâce à ses promenades , mon gosier a peut-être vécu dix jours de plus qu' il n' aurait vécu sans cela . , , ~ , . , ~ , x Jo vous crois , mais quand il est mort , ça été unfe grande perte pour vous ? —Je l' ai pleuré ; c' a été un vrai chagrin ... JEt tenez , monsieur Rodolphe , puisque vous comprenez qu' on aime les fleurs , je peux bien vous dire ça . Eh bien ! je lui avais aussi comme , de la reconnaissance ... de ... Abl pour cette fois vous allez vous moquer.de moi ... - Non ! non ! j' aime .... j' adore les fleurs ; ainsi je comprends toutes les folies qu' elles font faire ou qu' elles inspirent . b j m jj e ] u i étais reconnaissante , àce pauvre rosier , de fleurir si gentiment pour moi ... quoique ... enfin ... malgré ce que j' étais ... Et la Goualeuse baissa la tête et devint pourpre de tente ... „ , ~ . Malheureuse enfant , avec celte conscience do vclro horrible position , vous avez dû souvent/ .. Avoir envie d' en finir ; n' est -ce pas , monsieur Rodolphe _ dit la Goualeuse en interrompant son compagnon ; —-o' h ! oui allez , plus d' une fois j' ai regardé la Seiae pardessus le parapet ... mais après , je regardais les fleurs , le soleil ... Alors je me disais : la rivière sera toujours là ; je n' ai pas dix-sept ans .... qui sait ? Quand vous disiez qui sait ... vous espériez ? Oui ... —Et qu' espériez - vous ? —Je ne sais pas ~ j' espérais ... oui , j' ospérais presque ma' gré moi ... Dans ces naomens - là , il me semblait que mon sert n' était pas mérité ; qu' il y avait en moi quelque chose de bon . Je me disais : On m' a bien tourmentée ; mais au moins
je n' ai jamais fait de mal à personne .... si j' avais eu quelqu'un pour me conseiller , je ne serais pas où j' en suis ! ... Alors ça chassait un peu ma tristesse ... Après ça il faut dire que ces pensées là m' étaient surtout venues à la suite de la perte de mon rosier , ajouta la Goualeuse d' un air solennel , qui fit sourire Rodolphe . Toujours ce grand chagrin ... * Oui ... tenez le voilà . Et la Goualeuse tira do sa poche un petit paquet de bois soigneusement coupé et attaché avec une faveur rose . Vous l' avez conservé ? Je le crois bien .... c' est tout ce que je possède au monde . Comment , vous n' avez rien à vous ? Rien ... Mais ce collier de corail ? C' est à l' Ogresse . Comment , vous ne possédez pas un chiffon , un bonnet , un mouchoir ? --—Non , rien ... rien ... que les branches sèches démon pauvre rosier . C' est pour cela que j' y tiens tant ... A chaque mot l' étonnement de Rodolphe redoublait ; il ne pouvait comprendre cet épouvantable esclavage , cette horrible vente * du eorps et de l' âme pour nn abri sordide , quelques haillons et une nourriture immonde ( 1 ) . Rodolphe et la Goualeuse arrivèrent au Quai - aux - Fleurs : un fiacre les attendait , /"/ Rodolphe y fit monter la Goualeuse ; il monta après elle et dit au cocher ; — : A Saint-Denis ; je te dirai plus tard le chemin qu' il faudra prendre . La voiture partit ; le soleil était radieux , le ciel sans nuages , i„e froid un peu piquant ; l' air circulait vif et frais à travers l' ouverture des glaces baissées . Tiens ! un manteau de femme ? dit la Goualeuse eu remarquant qu' elle s' était assise sur ce vêtement qu' elle n' avait pas aperçu . Oui , c' est pour vous , mon enfant ; je l' ai pris dans la ersinto que vous n' ayez froid , enveloppez - vous bien . Peu habituée à ces prévenances , la pauvre fille regarda Rodolphe avec surprise . L' espèce d' intimidation que ce der-
( 1 ) S' il nous était permis d' entrer dans des délaits devant lesquels nous recuîons , nous prouverions qae ce servage existe , que tes lois de police sont ainsi faites , qu' une malheureuse créature , souvent vendue par ses proches , et jetée dans cet ahlme d' infamie , est pour ainsi dire à jamais condamnée à y vivre ; que son repentir , que ses remords sont vains , et qu' il lui est presque matériellement impossible de sortir d . ceite fange . —r ( Voir 1 le précieux ouvrage du docteur Parent - Duchâtelet , œuvre d' un philosophe et d' an graad homme de bien . }
nier lui causait augmentait encore , ainsi qu' une tristesse vague , dont elle ne se rendait pas compte . Mon Dieu ! monsieur Rodolphe , comme vous êtes bon ! ça me rend honteuse . Parce que je suis bon ? Non ; mais .... il me semble que vous ne parlez plus maintenant comme hier , que vous êtes tout autre ..... Voyons , Fleur - de - Marie , qu' aimez - vous mieux , que je sois le Rodolphe d' hier ? ... ou le Rodolphe d' aujourd' hui ? Je vous aime bien mieux comme maintenant ..... Pourtant hier il me semblait que j' étais plu ? votre égale Puis , se reprenant aussitôt , craignant d' avoir humilié Rodolphe , elle reprit . : Quand je dis votre égale .... monsieur Rodolphe , je sais bien que cela ne peut pas être .... —Il y a une chose qui m' étonne en vous , Fleur - de- Marie ? Quoi donc , monsieur Rodolphe ? Vous semblez oublier ce que la Chouette vous a dit hier de vos païens ? .... qu' elle connaissait votre mère ? Oh ! je n' ai pas oublié cela .... j' y ai pensé cette « 1it .... et j' ai bien pleur © mais je suis sûre que cela n' est pas vrai .... la Borgnesse aura inventé cette histoire pour me faire de la peine Il se peut que la Chouette soit mieux instruite que vous ne le croyez ; si cela était , ne seriez - vous pas heureuse de retrouver votre mère ? Hélas ! monsieur Rodolphe , si ma mère no m' a jamais aimée ... à quoi bon la retrouver ? .... Ellle ne voudra pas seulement me voir ... Si elle m' a aimée ... quelle honte je lui ferais ! ... Elle en mourrait peut-être ... —Si votre mère vous a aimée , Fleur - de - Marie , elle vous plaindra , elle vous pardonnera , elle vous aimera encore .... Si elle vous a délaissée .... en voyant à quel sort affreux son abandon vous a réduite .... sa honte vous vengera . À quoi ça sert - il de se venger ? Et puis , si je me vengeais , il me semble que je n' aurais plus le droit de me trouver malheureuse .... Et souvent cela me console , . , , Vous avez peut-être raison ... N' en parions plus .... A ce moment la voiture arrivait près de Saint-Ouen , à l' embranchement de la route de Saint-Denis et du chemin de la Révolte . Malgré la monotonie du paysage , Fleur - de - Marie fut si transportée de voir des champs , comme elle disait , qu' oubliant los tristes pensées que lu souvenir de ia Chouette venait d' éveiller en elle , son charmant visage s' épanouit . Elle se pencha à la portière en battant des mains et s' écria : Monsieur Rodolphe , quel bonheur 1 ... de l' herbe ! des champs ! Si vous vouliez me permettre de descendre ... il fait si beau ! ... J' aimerais taut à courir dans ces prairies ! ...
Courons , mon enfant ... Cocher , arrête ! Comment ! vous aussi , monsieur Rodolphe ! Moi aussi ... Je m' en fais une fête . Quoi bonheur ! ! monsieur Rodolphe ! ! Et Rodolphe èt la Goualëuse de se prendre par la mafa et de courir à perdre haleine dans une vaste pièce de reaain tardif , récemment fauché . . Dire les bonds , les petits cris joyeux , le ravissement da Fleur - de - Marie , serait impossible . Pauvre gazelle si lonstemps prisonnière , elle aspirait le grand air avec ivresse Elie allait , venait , s' arrêtait , repartait avec de nouveaux . transports . A la vue de plusieurs touffes de pâquerettes et de quelques boutons d' or épargnés par les premières gelées blanches la Goualeuse ne put retenir de nouvelles exclamations ' de plaisir , elle ne laissa pas une de ces petites fleurs , et triana tout le pré . ' Après avoir ainsi couru au milieu des champs , lassée vite , car elle avait perdu l' habitude de l' exercice , la jeune fille , s' arrétant pour reprendre haleine , s' assit sur un tronc d' arbre renversé au bord d' un fossé profond . Le teint transparent et blanc de Fleur - de - Marie , ordinairement un peu pâle , se nuançait des plus vives couleurs . Ses grands yeux bleus brillaient doucempnt , sa bouche vermeille , haletante , laissait voir deux rangées de perles humides , sop sein battait sous son vieux petit châle orange elle appuyait une de ses mains sur son cœur pour en comprimer les pulsations , tandis qne de l' aHtre main elle tendait à Rodolphe le bouquet de fleurs des champs qu' elle avait cueilli . . . Rien de plus charmant que l' expression de joie innocente et pure qui rayonnait sur cette physionomie candide . Lorsque Fleur - de - Marie put parler , elle dit à Rodolphe avec un accent de félicité profonde , de reconnaissance presque religieuse : Que le bon Dieu est bon de nous donner un si beau jour 11 , Une larme vint aux yeux de Rodolphe , en entendant cette pauvre créature abandonnée , méprisée , perdue sans asile et sans pain , jeter un cri de bonheur et de gratitude ineffable envers le créateur , parce qu' elle jouissait d' un rayon de soleil et de la vue d' une prairie .... Rodolphe fut tiré da sa contemplation par un incident imprévu . EUGÈNE SUE , { la suite h aprè^-gemin . )