Moi , je voudrais être riche , très riche ... avoir des domestiques , des équipages , un hôtel , aller dans le beau monde , tous les jours au spectacle . Et vous , Fleur - de- Marie ? Moi je ne serais pas si difficile : de quoi payer l' Ogresse , quelque argent d' avance pour avoir lp temps de trouver de l' ouvrage , une gentille chambre bien propre , d' où je verrais des arbres en travaillant ... Beaucoup de fleurs sur votre fenêtre ... Oh ! bien sur ... Habiter à la campagne si ça se pouvait , et voilà tout ... Une petite chambre , de l' ouvrage , c' est le nécessaire ; mais quand on n' a qu' à désirer , on peut bien se permettre le superflu ... Est -ce que vous ne voudriez pas avoir des voitures , des diamans , de belles toilettes ? Je n' en vaudrais pas tant ... Ma liberté , vivre à la campagne , et être sûre de ne pas mourir à l' hôpital ... Oh cela ! ... surtout ..... ne pas mourir 1à ! ... Tenez , monsieur Rodolphe , souvent cette pensée me vient elle est affreuse ! Hélas ! nous autres pauvres gens ... —Ge n' est pas pour la misèro que je dis cela .. * .. Mais après ... quand on est morte ... Eh bien ! Vous ne savez donc pas ce qu' on fait de vous agrès , monsieur Rodolphe ? « Non ... Il y a une jeune fille quo j' avais connue en prison Elle est morte à l' hôpital .... On a abandonné son corps aux chirurgiens , murmura la malheureuse en frissonnant . —Ah ! c' est horrible ! ! Comment , malheureuse enfant , vous avez souvent de ces sinistres pensées ? ... Cela vous étonne , n' est -ce pas , monsieur Rodolphe ? que j' aie de la honte ... pour après ma mort ... Hélas ! mon Ditu ... on ne m' a laisse ' que celle-1à .... Ces douloureuses et amères paroles frappèrent Rodolphe . Il cacha sa tête dans ses mains en frémissant ! ii songeait à la fatalité qui s' était appesantie sur Fleur - de - Marie ; ... il songeait à la mère de celte créature pauvre ... Sa inère , , . elle était heureuse , riche , honorée peut-être ....
Honorée .... riche .... heureuse .... et son enfant , qu' elle avait sans doute atrocement sacrifié à la honte , avait quitté le' grenier de la Chouette pour la prison , la prison pour l' antre de l' Ogresse ; de cet antre elle pouvait aller , mourir sur le grabat d' un hôpital .... et après sa mort ... Cela était épouvantable . La pauvre Goualeuse , voyant l' air sombre de son compagnon , lui dit tristement : _ Pardon , monsieur Rodolphe , je ne devrais pas avoir de ces ilées-1à .... Vous m' emmenez avec vous pour être joyeuse , et je vous dis toujours des choses si tristes .... _ si tristes ! mon Dieu , je ne sais pas comment ceia se fait , c' est malgré m0i .... Je n' ai jamais été plus heureuse qu' aujourd' hui , et pourtant , à chaque instant , les larmes me viennent aux yeux Vous ne m' en voulez pas , dites , monsieur Rodolphe ? D' ailleurs vous voyez .... cette tristesse s' en va ... comme elle est venue .... bien vite .... Tenez , maintenant ... je n' y songe déjà plus ... Je serai- raisonnable .... Tenez .... monsieur Rodolphe ... regardez mes yeux ... Êt Fleur - de - Marie , après avoir deux on trois fois fermé ses yeux pour en chasser une l' arme rebelle , les ouvrit tout grands ... bien grands , et regarda Rodolphe avec une naïveté charmante . Fleur - de - Marie , je vous en prie , ne vous contraignez pas ... Soyez gaie , si vous avez envie d' être gaie ... Triste , s' il vous plaît d' être triste ... Mon Dieu , moi qui vous parle , quelquefois j' ai comme vous des idées sombres Je serais très malheureux de feindre une joie que je ne ressentirais pas ... * • ' Vraiment , Monsieur Rodolphe , vous êtes triste aussi quelquefois ? Sans doute ; mon avenir n' est guères plus beau que le vôtre ... Jë suis sans père ni mère ... que demain je tombe malade , comment vivre ? Jo dépense ce que je gagne au jour le jour . Ça c' est un tort , voyez-vous ... un grand tort , monsieur Rodolphe , dit la Goualeuse d' un ton de grave remontrance qui fit sourire Rodolphe,—-vous devriez mettre àla caisse d' épargne ... Moi , tout mon mauvais sort est venu de ce quo je n' ai pas économisé mon argent Avec
deux cents francs devant lui , un ouvrier n' est jamais aux crochets de personne , jamais embarrassé ... et c' est bien souvent l' embarras qui vous conseille mal . Cela est très sage , très sensé , ma bonne petite ménagère . Mais deux cents francs ' ... comment amasser deux cents francs ? Mais , monsieur Rodolphe , c' est bien simple , faisons un peu votre compte ; vous allez voir ... Vous gagnez , n' estce pas , quelquefois jusqu' à cinq francs par jour ? Oui , quand je travaille . Il faut travailler tous les jours . Etes - vous donc si à plaindre ? Un joli état comme le vôtrè peintre en éventails ... mais ça devrait être pour vous un plaisir ... Tenez , vous n' êtes pas raisonnable , monsienr Rodolphe ! ajouta la Gualeuse , d' un ton sévère . Un ouvrier peut Vivre , mais très bien vivre , avec trois francs ; il vous reste donc quarante sous , au bout d' un mois soixante -francs d' économie Soixante francs par mois .... mais c' est une somme ! Oui ; mais c' est si bon de flâner , de ne rien faire ! Monsieur Rodolphe , encore une fois , vous n' avez pas plus de raison qu' un enfant ... —Eh bien ! je serai raisonnable , petite grondeuse ; vous me donnez de bonnes idees ... Je n' avais jamais songé à Vraiment ?— dit la jeune fille , en frappant dans ses mains avec joie . Si vous saviez combien vous me rendez contente ! ... Vous économiserez quarante sous par jour ! bien vrai ? A110n5 .... j' économiserai quarante sous par jour , —dit Rodolphe , en souriant malgré lui . Bien vrai ? bien vrai ? . Je vous le promets ... Vous verrez comme vous serez fier aux premières économies que vous aurez faites . Et puis ce n' est pas tout si vous vouliez me promettre de ne pas vous fâcher .... Est -ce que j' ai l' air bien méchant ? —Non , certainement .... mais je ne sais pas si je dois ... Vous devez tout me dire , Fieur - de - Marie ...
Eh bien ! enfin , vous qui .... on voit ça , êtes au dessus de votre état comment est ce que vous fréquentez des cabarets comme celui de l' Ogresse ? Si je n' étais pas venu - dans le tapis-franc , je n' aurais pas le plaisir d' ailer à la campagne aujourd'hui avec vous , Fleur - de - Marie . C' est vrai , mais c' est égal , monsieur Rodolphe Tenez , jo suis aussi heureuse que possible de ma journée , eh bien ! je renoncerais de bon ëœyr à en passer une pareille , si cela pouvait vous fàiie' du tort . —Au contraire , puisque vous m' avez donné d' excellens conseils de ménage . » —Et vous les suivrez ? , » • —Je vous l' ai promis , parole d' honneur . J' économiserai au moins quarante sous par jour ... .*• ' ... . CHAPITRE xi . 1 . lies Souhaits . A ce moment , Rodolphe dit au cocher , qui avait dépassé le village de Sarcelles . Prends le premier chemin à droite , tu traverseras Villiers-le-Bel , et puis à gauche , toujours tout droit . Puis , s' adressant à la Goualeuse : Maintenant que vous êtes contente da moi , Fleur - de- Marie , nous pouvons nous amuser , comme nous le disions tout à l' heure , à faire des châteaux en Espagne . Ça ne coûte pas cher , vous ne me reprocherez pas ces dépenses - lé . Non ... Voyons , faisons voire château eu Espagne . D' abord ... le vôtre , Fleur - de - Marie . Voyons si vous devinerez mon goût , monsieur Rodolphe . Essayons ... Je suppose que cette route - ci ... je dis celleci ... parce que nous y sommes ... C' est juste , il ne faut pas aller chercher si loin . Je suppose donc que cette .route - ci nous mène à un charmant village , très éloigné de la grande route . Oui , c' est bien plus tranquille . —Il est bâti à mi- côte , et entremêlé do beaucoup d' arbres .